Pour en finir avec le drame du renouvellement des papiers

identiteAlors que gonfle inéluctablement le nombre de Français qui ne parviennent plus à renouveler leurs papiers sans subir un parcours administratif kafkaïen qui se termine au greffe du tribunal, Monsieur Longuet, président du Sénat, réintroduit des distinctions subtiles, comme si certains Français étaient plus français que d’autres.

Quel rapport entre ces deux événements ? Une même logique de discrimination rampante là où l’on devrait réaffirmer avec la déclaration de 1789 : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Qu’est-ce qu’un Français ?

L’histoire de notre pays a choisi de combiner de façon très souple différentes manières de devenir français. Le code civil en 1803 définit la nationalité comme un droit de la personne, elle se transmet par filiation paternelle (jus sanguinis) et ne se perd plus par transfert du domicile à l’étranger.  Puis la loi de 1889 prévoit qu’un enfant né en France d’un parent étranger déjà né en France est irrévocablement français dès sa naissance (double jus soli), et qu’un enfant né en France de parents étrangers devient français à sa majorité. Enfin, l’acquisition de la nationalité peut se faire également par mariage ou par naturalisation, voie largement ouverte aux nouveaux immigrants à partir de 1927.

Deux combats  ont traversé l’histoire de la nationalité : l’égalité des droits des femmes et des indigènes. Le schéma est invariablement le même. Une situation absurde et injuste devient visible, des décrets et circulaires tentent sans succès de dégonfler l’abcès, une loi accorde enfin l’égalité et vient clore définitivement le débat. L’égalité est alors acquise sans retour.

Le combat pour l’égalité des femmes en matière de nationalité

Le combat pour l’égalité des femmes et des hommes illustre  ce processus. En régression complète par rapport à l’Ancien Régime et à la Révolution, le code civil de 1803 fait d’une femme la propriété de son mari et la contraint à adopter la nationalité de son conjoint. Par conséquent, si une étrangère qui épouse un Français devient française, une Française qui épouse un étranger devient elle-même étrangère dans son propre pays. Elle ne peut ni demander la naturalisation, ni transmettre la nationalité, seuls les hommes le peuvent.

Un enfant né d’une mère française et d’un père étranger est donc étranger dans son propre pays jusqu’en 1893. La loi de 1889 du double jus soli considère d’abord que le « parent étranger » est un père exclusivement, puis elle est finalement réinterprétée en 1893 : le « parent étranger » peut être un père ou une mère française devenue étrangère par mariage, et l’enfant a le droit de décliner la nationalité française à sa majorité.

Néanmoins, si la situation des enfants devient moins absurde, avec le développement de l’immigration et l’entrée des femmes dans de nouvelles professions, la situation des Françaises mariées à des étrangers devient de plus en plus visible et inacceptable. En France en 1926, on recense 150.000 femmes nées françaises et devenues étrangères par mariage, sans avoir été informées clairement des conséquences qui peuvent être très graves : perte des allocations sociales et surtout perte du droit à exercer des professions réservées aux Français alors que le nombre de femmes institutrices, avocat, employées des postes, etc. s’est multiplié. La loi de 1927 accorde aux femmes la liberté de conserver ou changer leur nationalité en se mariant et la possibilité de récupérer leur nationalité. Cette liberté de choix est remise en cause en 1945, au profit des logiques démographiques. C’est seulement la loi de 1973 qui accorde enfin aux hommes et aux femmes une égalité complète de traitement en matière de mariage et de transmission de la nationalité.

Deux philosophies : ethnique et raciste ou républicaine et égalitaire

Le mouvement de notre histoire est un progrès vers l’égalité de tous les Français, quelle que soit la manière dont ils ont acquis la nationalité. Dans ces débats, deux philosophies se sont régulièrement opposées : une philosophie inégalitaire qui cherche à fonder la nationalité sur l’origine nationale, ethnique, religieuse ou raciale — elle ne s’est véritablement imposée que dans la courte période du régime de Vichy ; et une philosophie républicaine et égalitaire qui privilégie la socialisation et le droit du sol.

Quelle que soit la manière dont ils obtiennent la nationalité, tous les Français sont en principe égaux, mais aujourd’hui, si l’on n’est pas né en France d’un parent né en France, obtenir le renouvellement de ses papiers s’apparente à un parcours du combattant souvent surréaliste. Par exemple,  une Française née en Algérie aura toutes les peines du monde à prouver sa nationalité alors que son mari, né belge, n’aura aucune difficulté puisqu’il aura acquis la nationalité française par un mariage avec une Française ! On se souvient également du cas douloureux des Alsaciens et Lorrains. Patrick Weil souligne à juste titre la situation paradoxale de la nationalité par filiation : « La difficulté d’apporter la preuve de sa qualité de Français, lorsque l’on ne peut la prouver que par la filiation, est la seule inégalité qui subsiste dans le droit français de la nationalité. »

Des centaines de milliers de Français se retrouvent dans des situations dramatiques dans lesquelles on leur demande de faire la preuve de leur nationalité alors qu’ils ont leurs anciens papiers. Certains sont fonctionnaires ou élus, ce qui ajoute encore à l’absurdité de leur situation. Beaucoup finissent par renoncer, survivent avec leurs anciens papiers périmés, et se retrouvent dans la zone grise des sans-papiers, alors qu’ils sont français. Les dernières circulaires ne changent rien à cet état des choses, puisque la suspicion de fraude laisse toute latitude aux fonctionnaires de la préfecture pour exiger une preuve de la nationalité s’ils ne se trouvent pas dans le cas simple où le demandeur est né en France et que l’un au moins de ses parents est né en France.

De même que l’on a mis fin à la situation aberrante des Françaises mariées à des étrangers par les lois de 1927 et 1973, l’association Les Enfants de la République demande une loi qui accorde explicitement l’égalité en matière de preuve de la nationalité à tous les Français, quelle que soit la manière dont ils ont acquis la nationalité. Cette loi stipulera que la qualité de Français est acquise une fois pour toutes et se démontre par la simple présentation d’un passeport ou d’une carte d’identité. S’il suspecte une fraude, c’est l’Etat français qui aura la charge de la preuve. Une telle loi est la seule façon de clore définitivement le débat sur le renouvellement des papiers et de réaffirmer l’inscription de la loi française sur la nationalité dans la philosophie républicaine et égalitaire qui a toujours prévalu jusqu’ici.

Anne-Sophie Godfroy,
Présidente de l’Association « Les Enfants de la République »

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